Toma est né un peu partout, comme il le chante sur son nouvel album. En banlieue parisienne mais aussi en Jamaïque, en province comme à la capitale, chez les musiciens, les chansonniers et les poètes. De ce parcours atypique, il a retiré un style personnel, une formule guitare-voix aux arrangements travaillés, un chant contestataire qui vise juste. Plume efficace, verbe frontal et refrain accrocheurs, il livre aujourd’hui « Les bâtisseurs de France », un recueil personnel qui redonne le goût de la contestation à une chanson française qui semblait l’avoir oublié.
À l’approche de l’adolescence, Toma tombe dans la marmite rap en écoutant le premier album de NTM et en écoutant la radio. « J’habitais à Torcy, juste à côté de l’endroit où s’enregistrait l’émission du collectif Time Bomb. J’ai vu les X-Men et Booba rapper ensemble quand j’avais 14 ans.», se souvient Toma. C’est l’âge des premiers groupes un peu bancals, des expériences musicales dans des caves exiguës. Toma se cherche. Passionné par Bob Marley, il reprend ses chansons. Fasciné par le ragga, il se la joue dancehall en imitant la grosse voix de Buju Banton. Tenté par le rastafarisme, il rencontre le groupe Jah People, avec lequel il tourne deux ans, passant des chœurs aux voix lead… Avant de partir. « On s’est séparés à cause de Jah : moi je ne suis pas un mystique, alors j’ai tout arrêté. Je venais d’avoir ma fille, j’avais 20 ans. Je me suis mis à l’écriture pour faire mon propre truc. Je me suis enfermé avec mon ordinateur pour travailler. » Mais tout n’est pas si facile, et la première signature en indé se solde par un album très reggae… Qui ne sortira jamais.
Au moins, Toma a désormais un répertoire. Mais commence à se demander s’il va réussir à percer. « Cet album qui n’est pas sorti en 2002, ça a été une grosse déception », se souvient-il. « J’ai recommencé à bosser, je me suis même retrouvé à jouer avec Thomas Broussard, mon pote guitariste, dans un Club Meds, imagine le délire ! » La rencontre avec un troisième Thomas, Join-Lambert, batteur, soude le noyau dur de Mr. Toma version 2006. Pendant deux ans, les trois T travaillent sur des compos originales où le reggae est une influence parmi d’autres (Toma est un fan absolu de Sting, par exemple). La guitare tient une place prédominante dans le son de Toma, et ses textes se font intimes.
Car Toma a une histoire personnelle douloureuse. Né sous X, il n’a jamais connu ses parents naturels. Plutôt que de se lamenter, il exorcise ses démons par la chanson. Et signe avec « Mon identité » une chanson poignante racontant son expérience, s’adressant à la mère qu’il n’a jamais connue avec une sincérité et une franchise bouleversantes. « Tu m’as laissé un jour d’août 79 sur le côté, alors que j’avais rien demandé/Toi qui m’a porté, tu m’as laissé tomber » dit-il sur fond de groove entre feeling reggae et mélodie pop. Sans pathos, avec le cœur. « Je ne veux pas faire le chouineur ni jouer à Cosette. Chacun sa croix, la mienne c’est celle-là. Quand tu as un X à la place de ton nom, l’identité ça compte. Je ne vais pas laisser un X, vous allez tous vous souvenir de moi ».
Tandis que Toma mûrit, les portes commencent enfin à s’ouvrir. C’est d’abord « Plus loin », une participation remarquée sur la compile de Passi « Dis l’heure de Ragga Dancehall », puis un featuring avec Soundkail produit par Frenchie sur la compilation « Ragga Connection ». Une rencontre avec Seb Farran, qui fut le manager de Raggasonic, NTM, et de Joey Starr, détermine le futur de Toma dans le milieu musical. Après plusieurs rencontres, notamment en Guadeloupe durant l’été 2004, Seb convainc Toma qu’il a besoin de lui pour faire évoluer sa carrière.
Prêt pour le grand saut, Toma peaufine son album, enregistré aussi bien dans la cave de Joeystarr (le désormais mythique studio Boss) qu’aux studios Harry Son et + 30, en compagnie du mixeur jamaïcain Shane Brown (qui a notamment travaillé avec Sean paul) et de Mitch Olivier. La tonalité des textes est originale car Toma a préféré parler de son quotidien plutôt que de l’actualité. Sa voix émouvante ne tente pas d’imiter les stars du moment et flirte entre les styles. « Déjà moi et le rap c’est mort, j’ai le flow de 1993 ! Des fois je flirte avec le ragga mais mon univers se rapproche plus de la chanson, de plus en plus pop et rock. »
Toma a la voix. Toma a le vécu. Toma a des compositions en béton. Toma a le son qui met la pression. Et surtout, Toma a une identité unique.
Six ans après son premier album , Toma a préféré recommencer à zéro, seul avec sa guitare et sa voix. Remise en cause fondamentale, exercice aussi périlleux que nécessaire : « J’ai repris cette vieille guitare que j’ai depuis l’âge de 6 ans et j’ai tout recommencé. J’ai écrit, réécrit, travaillé les accords, ça a été très dur. Mais il fallait que les chansons fonctionnent d’abord en version guitare-voix, c’est la base ». A l’écart des modes, et des styles, le jeune auteur renouvelle sa plume, rature les premiers mots pour en inventer d’autres, travaillant la matière brute qui brille aujourd’hui sur « Les bâtisseurs de France ». Mots justes et rimes bien troussées, il réinvente une chanson rebelle que le pays avait oublié. Systématique dans le rap, absente d’une chanson française devenue trop lisse, la contestation est chez lui une ossature plus qu’une posture, une essence plus qu’un artifice. Jamais gratuite, parfois bordée d'un humour mordant comme sur l'efficace « Non non non » (« Paraît qu'les jeunes sont tous méchants, faudrait qu’on les embarque plus »), cette colère mesurée évite les poncifs et la bonne conscience frelatée pour lui préférer des peintures plus justes où brillent nuances et contrastes. La marque des grands. À travers cette écriture rigoureuse, les cris deviennent des poèmes, les chansons des brûlots qui redonnent un peu d'espoir à la chanson française. Renaud, Brassens et NTM, dans un même souffle.
Appuyée sur une guitare lumineuse qui demeure le centre de gravité, la plume efficace de cet humaniste rouge dessine des comptines dont l'élément biographique n'est jamais absent. Qu'il évoque le climat social ou l'état du monde, Toma le fait toujours à travers une vision personnelle, ce regard intime qui imprime pertinence et personnalité à ses paroles. Il y a chez lui cette manière d’élever son sujet au-delà du sujet, de regarder plus loin que le bout de sa plume, comme lorsqu’il raconte son ami Ousmane en tirant de cette biographie touchante une comptine universelle. Un verbe vif et vivant mûri auprès des rappeurs ou des chanteurs de reggae qu’il a fréquenté, mais aussi dans les disques de Johnny Cash, dans le country-blues qui danse dans ses écouteurs ou les chansons d’Alain Souchon. Jusqu’à dépasser aujourd’hui ces carcans devenus trop étroits pour assumer pleinement sa chanson française cerclée de rouge : « Je n’arrivais plus à me sentir inspiré par les productions du hip-hop, les riddims du reggae. Dans le fond, j’étais incapable de poser sur quelque chose qui soit codifié, assimilable à un style ou à une pensée ». Le verbe haut, la guitare comme seule arme, Toma ne se cache désormais derrière aucune posture, aucun décorum, aucun uniforme. Inclassable par essence, il n’est ni ici ni ailleurs, évoluant dans son propre courant, celui d’une nouvelle chanson française aux airs inquisiteurs, d’un verbe cool qui a repris les armes avec une idée derrière la tête.
Musicalement, cet auteur-compositeur trentenaire est tout aussi difficile à cerner. Chanson française superbement arrangée, reggae discret ou ambiances désertiques à la Ennio Moriconne, il porte en lui les stigmates d’une ouverture musicale tous azimuts qui attire un public de plus en plus large. Jusqu’à le faire remarquer par quelques grands noms de la chanson, parmi lesquels le guitariste et accompagnateur de haut vol Romy Chelminski (Patrick Bruel, Christophe Willem...). Conquis par une prestation live de Toma, le musicien convoque quelques amis et l’histoire s’emballe. Les yeux grands ouverts, Toma enregistre « Les bâtisseurs de France » au milieu des plus grands : Régis Cécarelli à la batterie, Laurent Vernerey à la basse et l’Orchestre national de Paris en fond sonore. Benjamin Constant, réalisateur du tube « Fire on the mountain » d’Asa complète ce casting de luxe. Pour autant, le chanteur ne dévie pas de son exigeante ligne artistique : une voix portée par des arrangements travaillés, peu de choeurs et surtout de la guitare, une vraie chaleur mais peu d'artifices. Pas besoin d'en faire des tonnes quand on vise juste !
Textes profonds, rimes incisives et refrains efficaces, « Les bâtisseurs de France » est un disque tout en perspectives et en nuances, le manifeste d'un artiste exigeant qui allie fond et forme, légèreté et profondeur, colère et humour, guitare et flingue. Voix, éloquence et énergie, une variété urbaine qui n’appartient qu’à lui. Une chanson pleine de rêves qui s’adresse à ceux dont les yeux brillent encore, qui savent qu’on peut encore faire trembler le monde avec une guitare et quelques mots…
Source : Reggae.fr / Universalmusic.fr
Biographie fournie par : Webmaster ABC-TABS
Dernière modification : 24/10/2012