Le succès est venu assez rapidement pour l'artiste finistérien au style sobre et rassurant. Avec son grain de voix sucré, ses textes soignés posés sur des mélodies bonne pâte, il mélange les ambiances pop, jazzy-cabaret et chanson pour raconter de simples histoires de vie romancées, servies par un ton faussement naïf.
C’est la régularité de ses prestations les dimanches soirs au théâtre Le Mery, à Paris, qui a attiré les directeurs artistiques des maisons de disques. La boule de neige a grossi et fait fondre les premiers modèles d'orchestration des chansons. “Je me suis attaché à améliorer les arrangements en compagnie d’Olivier Lefebvre.” Ce travail effectué en amont de l'enregistrement d'un album donne aujourd'hui cette sensation de travail abouti.
En effet, sur l'album Repenti, les treize chansons résistent à l'épreuve du temps autant qu'à l'effet contreproductif que génère parfois la rotation intense d'un titre sur les ondes des radios. La réalisation aussi léchée que légère, sobre, est l’œuvre d’un des musiciens de l’album, l’ex-Valentin, Jean-Louis Piérot.
Dans les carnets de notes de Renan Luce, les jeux de mots et jeux d'ambiances foisonnent. On l'imagine ayant vécu une enfance en haut des charts du concours de rédaction. L’image y est omniprésente, la métaphore doucement récurrente dans les paroles : “Cherche regard neuf sur les choses / Cherche iris qui n’a pas vu la rose” dans la chanson L'Iris et la Rose. Les scènes de vie sortiraient d'une sorte de rêve en forme de road movie, quelque part entre Rennes, Nantes et Saint-Jean-de-Luz.
Le rêve, c'est justement au Pays basque qu'il s’est réalisé dans une pièce du studio du Manoir près de Biarritz. Après avoir travaillé seul, Renan s'est retrouvé avec une poignée de musiciens – dont trois membres des Jazzbastards qui accompagnent Oxmo Puccino – venus l'aider à finaliser l'album en prenant le temps nécessaire.
Pour sa longue tournée qui a débuté en mars et se poursuit à un rythme intense, il s'est entouré d'autres instrumentistes mais la partition n'a pas fondamentalement changé. “C'est la façon de jouer qui a évolué car j’avais aussi envie de ne pas trop respecter les arrangements. On est donc plus dynamique.” Peut-être un peu plus rock'n'roll dans l'attitude quand Renan s'arme d'une guitare électrique rouge style Rickenbacker, un soir de concert à Paris. Il ne faudrait pas pour autant se méprendre, car si la tournerie sautillante de La Lettre est notable, le tempo est bien souvent lent sur l'album.
Tout est toujours dans la nuance. La guitare folk est caressée puis martelée sur les couplets de fin du Lacrymal circus. Ailleurs, de petites touches rock alternent avec des sonorités plus anciennes vernies à la réverb’. Il aime Johnny Cash, Eliott Smith, les guitaristes mélodistes qui vont de la country bluegrass à l'indie pop-folk. Les influences quotidiennes du Renan Luce Circus ne se limitent pas aux Etats-Unis. “On a tous des iPods où la pop des Beatles figure en bonne place”, précise-t-il.
Chez Renan, tout serait donc une question de rangement dans des cases, carrées et ouvertes. Comme chez ce personnage autrefois sulfureux, aujourd'hui à l'abri des coups tordus qu'il fait parler dans la chanson Repenti, tout en colorant son texte par des touches de mandoline italienne : “Des spaghettis, d'la sauce tomate / Dans la banlieue nord de Dijon / J’ai choisi la voie diplomate / Qui m’a évité la prison / Ça fait vingt ans que je me cache / Et je pensais vivre bien moins / Le FBI remplit sa tâche / La protection d’un témoin / Repenti, j’ai trahi / J’aurais bien pu casser des pierres / Au pénitencier du Texas / Je me finis à la bière / Dans un PMU bien moins classe.” Et Luce de glisser sur les mots tout en épuisant les champs lexicaux, en se référant inconsciemment à la beauté elliptique des textes de Raymond Carver et aux descriptions dépressives de Marcel Proust.
Si on danse au 22 Bar de Dominique A, au Lacrymal Circus de Renan “on y voit c'qu'on veut y voir” et surtout, on se relaxe. Chaque morceau de Repenti propose un beau dépaysement, lent et subtile, une merveille de chanson imagée qu'on rêve injectée de travellings circulaires.
Tout commence comme un western en chambre, une chevauchée apprivoisée, une sombre et drôle histoire de voyeur racontée, caméra subjective au poing, par l'homme qui nous intéresse ici.
Renan Luce préfère donc « aux voisins les voisines », et à en juger par son goût des rythmiques qui trottinent, galopent ou s'emballent carrément, il a peut-être appris la musique en regardant, deux trous découpés dans les draps, John Wayne sillonner la vallée, Charles Bronson rissoler pendant des heures au soleil ou Lucky Luke seffacer à contre-jour sur l'horizon.
Poor lonesome cowboy ? Sa chanson Repenti nous le confirme, et le goudron et les plumes de la pochette également, Renan Luce aime endosser des rôles plus grands que lui, sentir le frisson de l'aventure lui rebrousser les poils. Il aime aussi la poésie et la dérision, et puis chanter à s'en faire dérailler la voix des petites histoires étonnantes à lintérieur desquelles on se sent immédiatement à laise, cueillis toutefois par leur charmante virtuosité.
Mais revenons au western, puisqu'il se trouve que Renan est originaire du Far West français, du Far Ouest si on préfère - de Morlaix pour être précis -, théâtre d'une enfance tranquille et studieuse, souvent derrière un piano ou un saxophone. Dix ans de Conservatoire plus loin, ses envies le poussent hors des limites du classique. Son frère aîné poursuit une carrière de concertiste pendant que Renan bifurque vers les musiques légères, troque le piano contre une guitare et, presque sans complexe, commence à écrire.
Il a 17 ans, beaucoup dillusions, mais il se rend compte assez vite quà trop tourner autour de son nombril, ses textes vont bientôt s'y noyer dans l'indifférence générale. Heureusement, il y a Georges Brassens, finalement le seul chanteur country français. Cette découverte encourage Renan à peaufiner ses chansons qu'il envisage désormais concises, érudites, un peu loufoques et surtout très libres.
Tout s'éclaire subitement du jour où il décide de se mettre à distance raisonnable de ses histoires. En premier spectateur, il s'étonne de leurs audaces, de leurs tournures folles, du sourire jamais facile qu'elles ont le pouvoir de faire éclore et aussi des petites émotions quelles transportent comme une précieuse offrande. Depuis qu'il laisse son imaginaire s'écarquiller au fil de la plume, il ne connaît plus l'angoisse de la feuille blanche, il lui arrive en revanche de se mettre à sa place (Je suis une feuille), où de tomber amoureux sans honte d'une femme de « lettre » qui ne lui était pas destinée.
Usurpateur d'identité occasionnel pour les besoins narratifs de ses chansons, Renan Luce possède en revanche une forte personnalité d'auteur-compositeur qui rénove d'anciens canons de la chanson folk made in France (Le Forestier, Moustaki, Dick Annegarn) en leur faisant croiser ses héritiers récents les plus turbulents (Thomas Fersen, Albin de La Simone).
Il a 26 ans aujourdhui, il a déjà écumé des scènes aux capacités extrêmes des bars borgnes à trois tables jusquau Zénith, en première partie de Bénabar. L'an dernier, il a proposé un rendez-vous dominical pendant trois mois dans un théâtre parisien pour y rôder un répertoire dont on commence, ici et là, à louer l'originalité, la subtilité mais également la manière unique dont la voix de Renan le transporte. Enfin, tout récemment, il a reçu une première distinction lors du très réputé festival Alors chante ! de Montauban, d'où il est reparti lesté du prix le plus convoité : celui du public.
Pour son premier album, Renan Luce n'a pas simplement cherché à reproduire une formule déjà validée sur scène. On en retrouve certes les ingrédients de base les guitares, la contrebasse, l'orgue mais également une vaste palette d'instruments, de sons, d'écumes et d'atmosphères qui embrasent certaines chansons, en dégoupillent dautres, surprennent toujours par leur variété de timbres et de rythmes.
Jean-Louis Piérot à la réalisation et Bruno Dejarnac à la prise de son et au mixage furent à ce titre des partenaires déterminants pour mettre un peu d'ordre dans les idées de Renan, lui qui cherchait notamment à retrouver les sensations chaleureuses de certaines productions folk des années 60-70. A écouter Lacrymal circus et son bastringue distingué, on reconnaîtra l'empreinte lointaine de Tom Waits, tandis que I was here possède quelque chose de Dylan que peu de français avaient réussi avant lui à capturer.
Scénariste pétri d'empathie pour sa petite comédie humaine dont chaque personnage possède sans doute un peu de son ADN de Monsieur Marcel, le fossoyeur narcoleptique jusqu'à l'insomniaque de Nuit blanche - Renan Luce s'autorise un seul autoportrait frontal, le temps du voluptueux et tentaculaire Mes racines. Cette fois, il donne sans doute rendez-vous du côté de chez Ferré, surtout pour cette façon dêtre épique sans jamais tomber dans l'emphase.
Ce « savoir doser », cette façon d'oser aussi des formes musicales nouvelles pour chacune ou presque de ses chansons - avec toutefois une tonalité d'ensemble aérienne et acoustique , cette écriture saillante, déjà unique, font que Renan Luce en impose d'emblée. « Cherche regard neuf sur les choses » dit L'iris et la rose, la dernière chanson de son premier album. Ne cherchons plus.
Biographie : http://www.rfimusique.com et Site officiel
Source : RFImusique
Biographie fournie par : Webmaster ABC-TABS
Dernière modification : 01/08/2011