Le 23 janvier 1910, à Liberchie, en Belgique, Jean-Baptiste Reinhardt, plus communément appelé Django (qui en manouche, signifie « Je réveille ») voit le jour dans une roulotte, comme tous les gens du voyage, pendant que sa famille donne un spectacle au café « chez Borsin ». Il est baptisé le 26 en l'église Saint-Pierre. Son père, Jean-Baptiste Eugène Weiss, né en 1882, pianiste et violoniste ambulant travestit son nom pour échapper à la conscription (service militaire). L’enfant fait partie d’une famille de Roms (gadjkénés) nomades habitués à traverser l’Europe de part en part. Il passe donc sa jeunesse à voyager en France, en Italie ou en Algérie pour fuir la Première Guerre mondiale avant que sa famille ne se fixe finalement à Paris, d’abord sur les Fortif’, la Zone malfamée jouxtant la Porte de Choisy, puis à la Porte d'Italie.
Django se voit offrir un banjo-guitare pour ses douze ans par un de ses voisins ; c'est ainsi que, jour après jour, il joue sans cesse, sur des cordes rouillées, ses doigts souffrant mais avec le sourire aux lèvres.
À l’âge de 13 ans, il court déjà le cachet dans les bars et bals de Paris, ainsi que dans les demeures des gens aisés, tout en continuant de jouer surtout pour son propre plaisir. La réputation du jeune virtuose se répand chez les amateurs de musique et en 1928, l'accordéoniste Jean Vaissade permet à Django d’enregistrer son premier disque. L’adolescent ne sachant ni lire ni écrire, même pas son propre nom, les étiquettes portent la mention « Jiango Renard, banjoïste »
La même année, le chef d’orchestre Jack Hylton, impressionné par la virtuosité de Django, lui propose de l’engager dans sa formation de musique populaire, qui doit partir se produire à Londres. Mais le destin contrecarre ce projet : juste avant le départ du groupe, le 26 octobre 1928, un incendie se déclare dans la roulotte où le musicien vit en compagnie de sa première femme, Bella Baumgartner. Les fleurs en celluloïd — matière très inflammable — que celle-ci vend s’enflamment au contact d’une bougie renversée, détruisant la caravane et blessant assez gravement ses deux occupants. Django surtout est sérieusement atteint à la jambe droite et à la main gauche. Celle-ci cicatrisant très difficilement, il reste près de 18 mois à l’hôpital, où les médecins pronostiquent des séquelles qui l'empêcheraient de rejouer de la guitare. On doit finalement brûler sa main au nitrate d'argent pour provoquer la cicatrisation. Django a perdu l’usage de deux doigts, mais s’obstine néanmoins, et, après 6 mois de travail sans relâche, il développe une technique nouvelle sur la guitare que son frère Joseph, alias « Nin-Nin », lui a apportée en guise d’outil de rééducation.
Au printemps 1930, alors que Django est toujours soigné à l’hôpital Saint-Louis, une commission de contrôle militaire vient juger sur place de son état de santé : le musicien, âgé de 20 ans et devant donc accomplir son service militaire, n’a répondu à aucune lettre de convocation depuis deux ans . Mais ses blessures lui permettent d’être rapidement exempté.
À sa sortie d’hôpital en 1930, Django Reinhardt a développé une toute nouvelle technique guitaristique, d’autant plus exceptionnelle qu’elle n’emploie que deux doigts de la main gauche, plus le pouce pour le jeu en rythmique. Il parvient néanmoins à plaquer quelques accords en contorsionnant son annulaire et son auriculaire ankylosés. Il découvre qu’entre-temps, la guitare a gagné sa place au sein des orchestres de Jazz, cette nouvelle musique venue des États-Unis. Les premiers contacts de Django avec la musique de Duke Ellington, Joe Venuti, Eddie Lang ou Louis Armstrong sont un grand choc, et le jeune guitariste décide de consacrer son existence à la pratique du Jazz.
En 1931, il joue dans l’orchestre du club la « Croix du Sud », dirigé par André Ekyan, au côté de Alix Combelle et Stéphane Grappelli. À cette époque, il lui arrive également de jouer avec l'accordéoniste d'origine italienne Vetese Guerino, l'un des as de l'âge d'or du musette et les frères Baro et Matelo Ferret.
Le 28 mai 1931, il réalise son premier enregistrement à la guitare avec Louis Vola et son orchestre. Il est engagé dans la Boite à Matelot à Cannes, qui aura une version parisienne le 22 décembre 1932. Django est présent a l'inauguration, et évidemment... il casse la baraque. Le chanteur Jean Sablon, qui y assiste, ne s'y trompe pas. Admiratif, il lui propose une tournée, ainsi que des enregistrements. Le guitariste manouche accepte. Il fait entre temps la connaissance d'un violoniste, Stéphane Grappelli, qui joue à La Croix du Sud. Ils jouent jusque tard dans la nuit, donnant naissance à un style qui, peut être l'avaient-ils prédit, allait être à marquer d'une pierre blanche dans l'histoire du jazz.
Avec Stéphane Grappelli, ils fondent en 1934, grâce à Louis Vola, le Quintette du Hot Club de France. Le groupe comprend également le frère de Django, Joseph, alias « Nin-nin », ainsi que Roger Chaput à la guitare et Louis Vola à la contrebasse. Les cinq musiciens inventent une musique innovante qui remporte un grand succès. C'est le premier orchestre à cordes français (et même, européen) a s'intéresser au jazz de cette façon, Django apportant une touche inédite. Ce qui déplaît a la firme Odéon qui les qualifie de trop moderne ! L'enregistrement n'est donc pas publié, mais l'équipe a tôt fait de se consoler : Ultraphone accepte non seulement leurs enregistrements (dont le swinguant « Ultrafox » composé pour l'occasion) mais en plus, quelques mois plus tard, la troupe est engagée au boulevard de Montparnasse avec le trompettiste Arthur Briggs et le saxophoniste Alix Combelle. Une nuit, Coleman Hawkins est dans le public, puis Louis Armstrong : les musiciens qui avaient fait chavirer le coeur de Django sont venus écouter la musique du Tsigane. Ils donnent leur premier concert a l'Ecole Normale de Musique, ce qui est une véritable révélation pour le public. D'où vient donc ce style, ce jazz partagé entre un violoniste lyrique et un guitariste manouche au toucher magique ? Tout de suite, Django Reinhardt est reconnu comme un des plus grands guitaristes de jazz.
Les années suivantes, ils enregistrent de nombreux disques et jouent dans toute l’Europe aux côtés des plus grands musiciens de l’époque, tels que Coleman Hawkins, Benny Carter ou Rex Stewart. Ces derniers tentent à plusieurs reprises de prendre en défaut la technique instrumentale et les connaissances musicales de Django dans des défis musicaux, tels qu’il s’en pratiquait fréquemment à l’époque, mais le guitariste gagne leur respect en se révélant, malgré son incapacité à lire la musique et son apprentissage quasiment autodidacte, d’une maîtrise à toute épreuve. C’est ce talent qui a convaincu le chanteur Jean Sablon qui l'engage et l’impose dans les studios d’enregistrement dès 1933.
Malgré quelques décalages avec ses compagnons (il arrive presque systématiquement en retard aux concerts, quand il est présent...), ils enregistrent un grand nombre de morceaux, Django étant capable de rejouer instantanément une mélodie, et de capter la trame harmonique d'une pièce a l'instant même ou il l'entend. Duke Ellington, en 1939, lui déclare après l'avoir entendu jouer : « J'aimerais jouer avec vous ». Ce à quoi Django répond simplement: « Moi aussi, mon frère ».
Lorsque la Seconde Guerre mondiale éclate en 1939, le quintette est en tournée en Angleterre. Tandis que Stéphane Grappelli malade, reste bloqué à Londres. Django retourne en France, à Toulon, où il est mobilisable dans la Flotte mais est à nouveau réformé à cause de ses brûlures. Il passe la guerre en Zone Libre, jouant à Paris, voyageant et tentant même de gagner la Suisse après un passage à Thonon, sans succès.
En 1940, il enregistre le titre Nuages avec le clarinettiste et saxophoniste de jazz Hubert Rostaing. En décembre 1940, il enregistre notamment avec l'orchestre de Pierre Allier, dont fait partie, pour une session, le tromboniste André Cauzard.
En 1943, il épouse, à Salbris, Sophie Ziegler, sa seconde femme, dont il aura l’année suivante un fils, Babik Reinhardt, qui deviendra à son tour un grand guitariste. À la Libération, il retrouve Grappelli avec lequel il improvise sur une Marseillaise qui restera célèbre.
Il est ensuite l’un des premiers en France à comprendre le be-bop, cette révolution du jazz venue des USA portée par Parker et Gillespie. Il intègre à ses compositions dès la fin de la guerre (R26, Mike, Babik...) de nombreuses trouvailles inspirées directement du be-bop, tout en restant toujours fidèle à ses propres conceptions musicales.
Après la guerre, le Hot Club de France reprend enregistrements et tournées. En 1946, une tournée aux États-Unis donne enfin à Django l’occasion de jouer aux côtés de Duke Ellington. Les deux musiciens s’étaient rencontrés en 1939 lors d'une tournée de Duke en Europe et désiraient depuis lors jouer ensemble, mais cette association n’est pas celle dont Django avait rêvé. Le premier accroc survint dès son dépaart pour les Etats Unis, en oubliant sa fameuse guitare Selmer acoustique. D'office, il doit jouer sur une électrique. Mais bien souvent, Django se dégotte une guitare acoustique pour l'électrifier par la suite à l'aide d'un micro Stimer. Ne parlant pas anglais, habitué à la liberté de sa vie nomade, Django peine à s’habituer à la discipline très stricte des Big Bands. Ces difficultés, alliées au fait qu’Ellington n’avait pas réellement intégré le guitariste à ses arrangements, le faisant toujours intervenir en fin de représentation, faisait de Django une sorte d’attraction et non le concertiste qu’il espérait être durant cette tournée.
Cependant, son passage fit toujours sensation. La tournée a emmené le groupe à travers tous les États-Unis (même au Canada) et la présence de Django était évidemment exceptionnelle pour les amateurs : c’était, après tout, la seule vedette de jazz non américaine (avec Grappelli). En arrivant à New York, Django chercha à rencontrer Charlie Parker, Dizzy Gillespie, Thelonious Monk, sans résultat, ces derniers étant alors chacun en tournée.
Il gardera de cet épisode une certaine amertume, et il s’éloigne peu à peu de la guitare, se consacrant de plus en plus à ses autres passions, la peinture, la pêche et le billard. Cela ne l’empêche pas de recréer à plusieurs occasions sur disque le prestigieux Quintette avec Stéphane Grappelli. Les résultats sont fantastiques de maîtrise et de singularité.
En 1951, il achète une maison et s’installe à Samois-sur-Seine en Seine-et-Marne, près de Fontainebleau. À ce moment commence pour lui un véritable renouveau : l’inspiration revient, son jeu est plus inspiré que jamais et il joue régulièrement avec un orchestre composé des meilleurs be-boppers français : Roger Guérin, Hubert et Raymond Fol, Pierre Michelot, Bernard Peiffer, Jean-Louis Viale. Il est toujours à l’avant-garde du jazz.
En 1953, Norman Granz fait part à Django de son désir de l’engager pour les légendaires tournées du Jazz at the Philharmonic. Le producteur français Eddie Barclay lui fait enregistrer huit titres, en guise de « carte de visite » pour les amateurs américains. Ces huit morceaux exceptionnels marqueront irrémédiablement les amateurs de jazz et surtout les guitaristes du monde entier, qui s’inspireront des décennies durant du jeu d’un Django très en avance sur son époque.
Django enregistre son dernier disque le 8 avril 1953, avec Martial Solal au piano (c’est un de ses premiers enregistrements), Pierre Michelot à la contrebasse, Fats Sadi Lallemant au vibraphone et Pierre Lemarchand à la batterie.
Il mourut un mois plus tard d’une hémorragie cérébrale. Django Reinhardt repose depuis à Samois-sur-Seine.
Considéré avec Charlie Christian, Joe Pass et Wes Montgomery comme l’un des meilleurs guitaristes de jazz ayant existé, Django Reinhardt est aujourd’hui encore une influence majeure pour la plupart des guitaristes à l’instar d’Andrès Segovia, Mark Knopfler ou de Jimi Hendrix dans des styles bien différents. Son style profondément original, entre Jazz et musique Tzigane, s’est depuis lors développé en un genre musical à part entière, le Jazz manouche. Ce style est devenu un véritable folklore pour la communauté Manouche depuis la mort de Django et est aujourd’hui joué partout dans le monde.
Dans le monde des Tziganes, Django Reinhardt est considéré comme un symbole. Comme l'a écrit Alain Antonietto : « Django est le héros d’un peuple, celui du peuple Tzigane ». Pour ces gens souvent opprimés, qui ont dû faire face à un terrible génocide rarement reconnu et sont aujourd’hui encore victimes de discriminations dans presque tous les pays où ils vivent, Django reste l’ambassadeur d’une culture Tzigane bien vivante, entre tradition et modernité.
Ses admirateurs retiendront aussi sa personnalité unique, son insouciance, ses coups de folie et ses coups de génie. Comme l'a déclaré son contrebassiste Louis Vola : « Le génie n’a pas à se justifier : il est ! »
Parmi les compositions les plus célèbres de Reinhardt, on retient souvent Minor Swing, Nuages, Rythme futur, Anouman, Djangology ou encore Douce Ambiance. Certaines de ses compositions ont été utilisées dans des bandes originales de film (Lacombe Lucien, Matrix, Aviator...) ou du jeu vidéo Mafia: The City of Lost Heaven : Belleville, Manoir de mes rêves, Echoes of France, Vendredi, Cavalerie et Rythme Futur.
Il est également évoqué comme modèle dans le film de Woody Allen Accords et désaccords de 1999 avec Sean Penn.
Source : Wikipedia.fr et Music-Story.com
Biographie fournie par : Webmaster ABC-TABS
Dernière modification : 27/12/2011