Lavilliers est un individu totalement àpart dans la chanson française. Issu d'un milieu populaire - son père était ouvrier - très fortement marqué par la Résistance et l'antinazisme, il décide très vite de fuir son univers et part pour le Brésil. Là, il découvre la misère, les trafics, se familiarise avec les armes et diverses marginalités. Et surtout, il découvre la musique brésilienne.
A son retour en France, il est emprisonné - il a oublié de faire son service militaire ! - et décide qu'il sera voyou. Mais il joue également de la guitare et régale ses copains de chansons rebelles empruntées à Aristide Bruand, Gaston Couté, Boris Vian, Brassens et surtout Léo Ferré. Petit voyou et monte en l'air le jour, il commence à chanter devant un public qui devient inconditionnel et fidèle.
Comme toujours dans ce type de parcours, ce sont les rencontres qui vont permettre à Lavilliers d'entrer dans le métier, d'enregistrer des disques et de finir par connaître le succès. On peut dire que Lavilliers est devenu chanteur par hasard. Et qu'il occupe dans la chanson française une place tout à fait à part. Auteur-compositeur-interprète, il affirme volontiers ses origines ouvrières et ses engagements ses textes sont violents et tendres, ses musiques fortement marquées par les rencontres faites au cours de ses voyages.
Mais Lavilliers ne se contente pas de s'indigner. Il entend également témoigner. Voilà pourquoi il passe le plus clair de son temps hors de France à rencontrer des peuples différents. Depuis qu'il connaît la notoriété, dans un répertoire tout à fait singulier, la carrière de Lavilliers ne connaît que des hauts, grâce à un public fidèle qui se renouvelle néanmoins à chaque disque, séduisant une jeunesse attentive au romantisme des rebelles.
Regard bleu aventure et anneau d'oreille à la Corto Maltese, blouson élimé et carrure d'écumeur, la cinquantaine en forme avec tout de même les abdos qui font un peu relâche, Papy-musique, comme l'appelle sa petite-fille, est ici au coeur de sa mythologie. Saint-Malo est son port: peut-être parce qu'elle fut la capitale des corsaires. Le bar-hôtel de l'Univers est son repaire: on le retrouve dans ses chansons et il y loue une chambre à l'année.«Ce bar a une histoire avec moi», résume-t-il. Dans l'imagerie du chanteur, les bars ont une fonction précise. Endroits magiques où la confidence se noue, où elle franchit le cap délicat de la pudeur, ils doivent être obscurs «pour qu'on puisse s'y dire des choses entre mecs».«Pour qu'un mec arrive à sortir un truc comme "Ne me secouez pas, je suis plein de larmes", il faut un bar sombre. Et si on ne peut pas s'y parler entre hommes, ce n'est pas un bar», dit-il. Renchérissant dans le rôle d'un Rambo cherchant à se glisser dans la peau des noirs héros d'un film de Melville, il poursuit: «Les mecs les plus aventureux sont les plus pudiques. Les mecs de ma race à moi mettent beaucoup de temps à parler d'eux-mêmes. Et ils ne parlent pas pour recevoir des conseils car un homme qui se respecte n'a besoin de personne pour régler ses problèmes. Je vais encore passer pour un macho en disant ça ... mais c'est faux; d'ailleurs, j'ai toujours eu des féministes comme femmes.»
Saint-Malo, ce sont aussi les amours. Il en parle devant une bouteille de muscadet. D'abord, d'une femme avec laquelle il est venu. Lui est reparti, elle est restée. Elle y habite encore, dans une petite maison; «la seule baraque que j'ai jamais achetée», précise le chanteur qui roule d'hôtel en hôtel. Ensuite, de la mer, à laquelle il avoue sa passion tout le long d'une chanson de son dernier disque. «La mer, c'est formidable parce qu'on en sort jamais vainqueur, on ne peut pas frimer. C'est elle, la vraie démocratie. Si elle se fâche, elle emporte tout. Va donc faire un manifeste contre la mer.» On croyait connaître l'itinéraire de l'ancien tourneur sur métaux de Saint-Etienne: videur à Marseille, camionneur au Brésil, boxeur professionnel... On le découvre aussi marin: «J'ai eu un voilier amarré dans la Rance. Un monocoque de dix mètres qui remontait bien le vent. Avec lui, j'allais tout seul en Irlande. Ceux qui savent naviguer par ici peuvent naviguer dans le monde entier.»
Un copain de Lavilliers avait prévenu: «Tu verras, tout ce que tu as fait, il l'a fait avant toi. Si on met bout à bout ce qu'il dit avoir vécu, on dirait qu'il a vécu cent-cinquante ans. Mais tu le vois quatre ou cinq fois et après, c'est fini, il a largué son côté mytho, mégalo. On le découvre bon mec, très grand coeur. Et excessivement fidèle en amitié. On ne se voit plus, mais si j'étais dans la merde, je sais que je pourrais compter sur lui». Tout le monde est d'accord. Lavilliers, c'est un vrai pote, celui qui, après cinq ou six ans de silence, «vous scie de surprise» en vous appelant un beau soir.
L'amitié, il en a fait un code d'honneur: «On ne peut pas se faire d'amis dans le show-biz, c'est comme l'eau et le feu. Les cercles d'amis, ce sont des paniers de crabes, ça ne me plaît pas non plus. Et je ne m'associe jamais en affaires avec un pote.» Elle est au pinacle de sa mythologie. Et elle colle bien à un monde qu'il idéalise, celui des voyous. «Spontanément, il aime bien faire partie de leur monde. Il y en avait plein à son mariage. Leur idéologie lui plaît. Il a la même fascination que Delon pour le milieu», précise un autre copain. «Mais, à la différence de Delon, Lavilliers, lui, n'est pas pourri. Il a besoin de se donner des frissons pour avoir le sentiment d'exister et il le trouve là», nuance une ancienne collaboratrice. Lui avoue aimer «les bandits anars» et avoir des potes «au placard pour des histoires marginales de terrorisme». Parfois, il lui arrive de se retrouver derrière la barre pour un coup de poing de trop. «Bernard a de la folie en lui, celle des vrais artistes. Si elle se cristallise dans une chanson, cela peut être superbe. Sinon, ça peut l'amener à péter les plombs», ajoute-t-elle.
Saint-Malo, ce sont encore les copains. Les vivants, comme le patron de l'Univers. Les morts, comme Léo Ferré, qui, à une période de sa vie, vivait non loin, dans une maison accessible seulement à marée basse. Son souvenir habite sa conversation: «Il était incroyable, Léo. Il habitait là mais ne savait pas nager. Quand il se baignait, on l'attachait avec une corde.»
Enfin, au bout du quai de Saint-Malo, il y a les départs. Pour qui est rongé par «le cancer infernal de la fuite», le mot partir est un philtre: «Je pars pour écrire car je rencontre toujours des gens incroyables. Il n'y a que dans les grands hôtels un peu fanés des Tropiques qu'on voit autant de barjots au mètre carré.» Destination planète: Managua, Manille, Saïgon, Kingston, où, dit-il, «les Noirs n'aiment pas les Blancs, mais, moi, j'ai pas de problèmes». Et même Beyrouth sous les durs bombardements de 1982: «J'y ai rencontré Carlos qui est devenu un pote.» On croit qu'il s'agit du célèbre terroriste et, ébaubi, on cesse de respirer. Ouf! Il ne s'agit que d'un membre de la Croix rouge suisse. De toutes les aventures qu'il se prête, quelle est la part rêvée? «Personne ne sait. Je crois qu'il a rejoint sa mythomanie, qu'il s'est inventé des trucs et que, plus tard, l'argent aidant, il les a faits. Mais où qu'il aille, il va toujours dans les quartiers qui craignent. C'est ça qui le chauffe», précise l'ancienne collaboratrice.
A l'Univers, même «à l'heure où la bière se transforme en or», les aventuriers ne sont pas venus. Pas même un marin paumé. C'est que le bar est trop chic, trop beau pour prétendre au statut de taverne et attirer un équipage en bordée. S'y réunissent Rotary et Lion's Club. On est donc loin des beuglants de l'ancienne rue de la Soif. Qu'importe! Lavilliers l'a rempli des fantômes d'Aragon, Maïakovski, Cendrars, Borgès... qu'il cite à l'envie et avec passion. Et Baudelaire. Qui écrivait que les vrais voyageurs «partent pour partir». Lavilliers, lui, part pour rapporter histoires, sambas, salsas ... Pour mieux revenir.
Après Arrêt sur image (1997) et La Marge (2003) sur lequel il reprenait des textes de poètes (Léo Ferré, Apolinaire, Baudelaire, Prevert...), le baroudeur au grand coeur Bernard Lavilliers est de retour à tout juste 58 ans avec ce nouvel album. Il y retrouve Cesaria Evora et Tiken Jah Fakoly mais aussi le clavier des Wailers, Tyrone Downie.
Bernard Lavilliers donne le ton de ce nouvel album dès le début: "Pas moi qu'ai fait des voyages, c'est les voyages qui m'ont fait". Avec finesse et délicatesse (guitares acoustiques, percussions), il expose sa vision du monde et propose des ambiances variées empruntées aux musiques jamaïquaines, capverdiennes, brésiliennes... Un disque honnête et sensé, un de plus pour Bernard Lavilliers!
Source : Bernard Lavilliers Net
Biographie fournie par : Webmaster ABC-TABS
Dernière modification : 11/10/2011