Il est revenu de plusieurs ruptures et d'un cancer. Désormais, ses chansons pansent ses plaies et son timbre de “chat écorché” séduit le monde entier.
D'abord il y a la voix. Douce et posée quand il parle ; rocailleuse et haut perchée quand il chante. Une voix à la Janis Joplin ou à la Robert Plant, disent les journalistes – mais que lui compare plus volontiers à celle d'un chat écorché –, et qui, qu'on l'aime ou pas, intrigue à la première seconde et pénètre aussitôt. Ensuite, il y a le corps, curieusement fragile et athlétique à la fois, gracile comme celui d'un danseur, et affûté comme une lame de couteau ; un corps parfaitement graphique sur scène, qui capte l'attention. Puis le regard, insistant, et le sourire en coin dont on ne sait jamais trop ce qu'il veut dire – ou pas. Enfin, il y a les mots, pesés, précis et bien souvent tranchants, que la conversation tourne autour de la musique, de la maladie, ou de son pays, « rongé par l'enfermement et la peur ».
En dépit d'une image un peu papier glacé, l'Israélien Asaf Avidan n'a rien du chanteur pastel et passe-partout, aussitôt encensé par la critique, aussitôt oublié par le public. Depuis sa sortie en France, à la fin de janvier, son quatrième album,Different Pulses n'a pas quitté les quinze premières places du classement des ventes. Quant à son histoire, elle commence à beaucoup circuler sur la toile et dans les journaux. La plupart du temps, on la résume ainsi : le jeune homme, qui se destinait au cinéma d'animation, s'est mis à chanter spontanément quand sa fiancée l'a quitté. Et s'il parle beaucoup de la mort dans ses textes, c'est parce que, à 21 ans, il faillit succomber à un lymphome… C'est un peu plus compliqué.
A l'entendre, Asaf Avidan n'a pas attendu de tomber malade ou de se faire plaquer pour réaliser que l'existence ne serait pas pour lui une longue balade insouciante.« Ma vie est faite de ruptures, plus ou moins douloureuses. Elles m'ont forgé et ont nourri les questionnements qu'on retrouve dans mes chansons. » Première cassure à l'âge de 7 ans : l'enfant quitte son pays pour partir vivre en Jamaïque avec ses deux frères et ses parents diplomates. Là-bas, il apprend l'anglais, et ouvre les yeux sur un autre monde : « Je me suis retrouvé dans une petite communauté de Juifs blancs, au milieu d'un peuple de Noirs chrétiens. » Même s'il assure n'avoir jamais été rejeté, le garçon se met à nourrir un sentiment de solitude, « peut-être parce que mes parents étaient très occupés ». A cette même époque, et sans raison apparente, il commence à s'interroger sur la mort. « Je demandais sans cesse à ma mère pourquoi nous étions tous condamnés à disparaître. J'étais déjà obsédé par l'idée de la mortalité. » Trop inquiet ou très précoce. A 11 ans, le départ de son père l'isole un peu plus. Il rentre en Israël.
Deuxième brisure, sept ans plus tard. Asaf vient d'atteindre l'âge du service militaire, censé durer trois ans. Si la plupart de ses camarades parviennent à obtenir des missions administratives, lui se retrouve dans les troupes de terrain. Pas pour faire le malin : « J'étais jeune et naïf, je n'ai même pas essayé de ruser. Je ne réalisais pas ce qui m'attendait. » Car bien qu'il n'ait jamais été envoyé au feu, l'uniforme et les armes n'ont évidemment pas convenu à cet hypersensible… A l'armée, Asaf enchaîne les cauchemars, les angoisses – et même les malaises. Au bout de dix mois, les gradés le renvoient.
A Jérusalem, il reprend le cours de sa vie. Gratte de temps en temps une guitare, prend quelques cours, essaye même d'écrire une ou deux chansons mais sans conviction. « Ce sont les arts visuels qui m'attiraient. » Asaf, aussi instinctif que cérébral, suit ses envies : il intègre une école d'arts et se spécialise dans le cinéma d'animation. Ses professeurs le trouvent doué ; l'étudiant dessine bien, travaille vite, empile les projets… Jusqu'à ce qu'une troisième faille s'ouvre subitement sous ses pieds : à 21 ans, un médecin lui diagnostique un cancer du sang. Le spectre de la mort et sa ribambelle de questions reviennent tourmenter cet intraitable athée. « Le traitement a duré un an, durant lequel je me suis plongé dans une grande introspection. Je suis allé voir mon premier psy. Et plus que jamais, j'ai dessiné. » Aujourd'hui, il porte sur le corps le tatouage d'un amandier, arbre ancré dans le sol d'Israël, dont les fleurs blanches réapparaissent chaque printemps après le dénudement de l'hiver.
Asaf Avidan serait-il un phénix ? En tout cas, ce n'est pas le dessin, mais la musique, qui aura scellé sa dernière renaissance, après une quatrième rupture – de prime abord, la plus banale, mais en fait, la plus décisive. En 2006 (il a 26 ans), Asaf se sépare de la fille avec laquelle il vit depuis plusieurs années à Tel-Aviv. La déflagration est si forte qu'elle emporte tout : « Dans la foulée, j'ai quitté mon emploi et décidé d'arrêter l'animation. J'étais perdu. Privé, du jour au lendemain, de ma petite amie, de mon travail, de mes repères. » Par pulsion plus que par choix, il pose alors le crayon et reprend la guitare. En anglais, Asaf Avidan se met à écrire des chansons déchirantes et lancinantes. Deux ans plus tard, il enregistre son premier album, avec 4 musiciens, Ran Nir – basse, Yoni Sheleg – batterie, Roi Peled – guitare, Hadas Kleinman – violoncelle, The Mojos.
Le groupe joue beaucoup en Israël et donne également quelques concerts aux États-Unis, notamment au M.E.A.N.Y Fest, à New York, où ils arrivent finalistes.
En 2007, pour la première fois, le groupe se retrouve en studio pour l’enregistrement de The Reckoning, un album de 15 morceaux folk-rock/blues. À ce moment-là, le groupe a déjà accumulé quelques tournées en Israël et beaucoup de maisons de disques se montrent intéressées. Mais Asaf Avidan décide de continuer indépendamment et, avec son frère et manager Roie Avidan, il fonde le label Telmavar Records. The Reckoning sort en mars 2008. Un an après la sortie de l’album, Asaf Avidan & the Mojos se voient remettre un disque d’or, puis un disque de platine l’année suivante. Il s’agit alors de la plus grosse vente jamais réalisée en Israël par un label indépendant.
Le disque est élu « album de l’année » par plusieurs médias, dont Time Out Israël. Weak, le deuxième single de l’album, devient un succès radio et son clip est élu « clip de l’année » par plusieurs chaînes de télévision israéliennes. Weak deviendra aussi le titre phare du film L'Arbre réalisé par Julie Bertuccelli, avec Charlotte Gainsbourg en rôle principal, qui est projeté en clôture du Festival de Cannes 2010.
Alors que le groupe a reçu des propositions de plusieurs labels européens, il décide de s’embarquer pour une tournée autofinancée durant l’été 2009, se produisant alors dans une douzaine de festivals et de salles à travers l’Europe. À la fin de l’été, Telmavar Records signe un contrat avec Sony Columbia Europe pour The Reckoning, ainsi que pour le prochain album du groupe. The Reckoning sort en Europe en 2009 et reçoit d’excellentes critiques. Il atteint la 8e place des ventes sur iTunes France.
Poor Boy / Lucky Man, le second album du groupe, sort en Israël en septembre 2009. Il évoque l’histoire d’un garçon né avec un trou à la place du cœur. L’album sort initialement avec deux titres et deux couvertures différentes, laissant au public le choix de décider si le garçon est pauvre (« poor boy ») ou chanceux (« lucky man »). L’album est disque d’or après cinq mois et récolte des critiques extasiées. Il sort dans plusieurs pays d’Europe en avril 2011 et est élu « album du mois » par la radio FIP, par le journal Libération, ainsi que par le magazine allemand Eclipsed.
De 2009 à 2011, le groupe est presque constamment en tournée, principalement en Europe et en Israël, avec quelques représentations aux États-Unis, au Canada, en Chine et en Inde, se construisant peu à peu une réputation en termes de prestations scéniques.
Il se produit, entres autres concerts, à la porte de Brandebourg, à Berlin, à l'occasion des Championnats du monde d'athlétisme 2009, à la soirée de clôture du Festival de Cannes en 2010, au grand festival musical du 1er mai en Chine, au concert d’hommage à The Who au Carnegie Hall, à New York, ainsi que dans de nombreux festivals à travers l’Europe (Solidays en France, Latitude en Angleterre, Paléo en Suisse, Frequency en Autriche, Haldern Pop en Allemagne, pour n’en citer que quelques-uns), sans compter les nombreuses émissions de radio et de télévision (Taratata et One Shot Not en France, Rockpalast en Allemagne…).
Le 30 novembre 2010, le groupe sort son troisième album en Israël. Through The Gale est un album-concept qui conte l’histoire du voyage aveugle et entêté d’un capitaine et de son équipage loyal à la recherche de l’immortalité au royaume des dieux. Ils réaliseront finalement qu’une vie sans mort est dépourvue de sens.
Jusque là peu connu en France, le talent d’Asaf Avidan explose aux yeux de tous grâce au remix d’un DJ allemand (Wankelmut) à l’été 2012. Le morceau « Reckoning song », tiré du premier album du même nom prend une saveur électro mais reste fidèle à l’original, il commence alors à tourner en boucle sur les radios.Et le voilà, aujourd'hui, trois disques plus tard, auréolé d'un succès. Soupirant gentiment quand un énième journaliste lui demande pourquoi il n'évoque pas le conflit proche-oriental dans ses textes. « Bien sûr, j'ai des opinions. Je vote à gauche. Mais de quel droit en ferais-je des chansons ? Et puis, pour moi, écrire et composer est avant tout une thérapie. Je chante, comme je parlerais à un analyste. » Et si demain, ou après-demain, toutes ses peines et ses doutes sont ainsi évacués, cessera-t-il de chanter ? « Cette perspective ne m'inquiète pas. Nous sommes tous des éponges à émotions, qui peuvent donner matière à création. Si un jour j'arrête la musique, je trouverai bien le moyen de m'exprimer autrement... » Asaf Avidan a l'air serein. Les ruptures ne l'effraient plus.
En Janvier 2013, Asaf Avidan sort son premier album en solo « Different Pulses ». Sans doute pourra-t-on trouver son disque assez répétitif. Et même peut-être un peu lisse. C'est qu'alors on l'aura écouté sans vraiment s'y plonger, comme une pièce de plus — soignée mais pas fondamentale — apportée à l'imposant édifice de la sono mondiale. Ce serait dommage : sous le glacis d'une impeccable production, le chant de cet homme-là est en ébullition. Pour en mesurer la profondeur et les aspérités, il faudra accepter de lâcher prise.
Valérie Lehoux (Télérama n°3299)
Source : Telerama.fr et Wikipedia
Biographie fournie par : Jerome
Dernière modification : 05/04/2013