C'est en 1994 que l'aventure Archive commence. Darius Keller déniche un jeune rapper originaire du sud de Londres et alors parfaitement inconnu: Rosco John. Ensemble, ils réalisent quelques démos basiques, avec juste une basse, un beat et une mélodie au Fender Rhodes. Le musicien contacte alors Dany Griffiths, un autre producteur avec qui il officiait au début des années 90, remixant Prince aussi bien que les Beatles.
Lorsque Danny entend les premiers essais du duo, il n'en croit pas ses oreilles. "J'ai beaucoup aimé le flow simple et direct de Rosco. C'était génial d'entendre quelqu'un ayant son propre style, qui n'essaye pas de sonner américain ou cockney".
Danny Griffiths décide de se joindre à l'aventure, enrichissant les morceaux de sons de synthés analogique à la Pink Floyd, et de samples de disques issus de sa collection. Mais les deux musiciens ne sont pas encore satisfaits: il leur manque une chanteuse. C'est alors que Roya Arab entre en scène. "Lorsque Roya est venue au studio, je ne l'avais encore jamais rencontré", explique Darius Keller. "Danny lui avait donné quelques instrumentaux et elle avait commencé à écrire des paroles. Elle était très sûre d'elle, solitaire et souvent défoncée. Mais lorsqu'elle a commencé a chanté, j'ai été terrassé. Sa voix était magnifique et ses paroles parfaites".
Restait à finir ce premier album. Hélas, l'ego de Rosco commençait à se manifester, et les relations entre Danny et Roya devinrent assez troubles. "Je ne pouvais vraiment plus les voir, et ce sentiment était réciproque", se souvient Danny. Les deux chanteurs sont alors bannis du studio, jusqu'au mixage final de l'album. Pour les deux musiciens, il est clair que Roya n'a jamais été satisfaite du résultat. Quand à l'avis de Rosco, ils ne semblent pas vraiment s'en soucier.
Londinium est enfin prêt à paraître. Six labels se déclarent intéressés. Le groupe signe avec Island, et le disque sort début 1996. Leur maison de disque multiplie alors les erreurs. Si l'accueil de la presse est bon, une mauvaise distribution et une promotion hasardeuse empêche les ventes de décoller (le groupe se souvient être allé jusqu'à faire de la promo dans une émission TV pour enfants). Cette incompétence manifeste d'Island et l'ambiance exécrable au sein du groupe conduit à un split inévitable.
Alors que tout le monde pense que le groupe est définitivement hors-jeu, Danny et Darius se mettent en quête d'une nouvelle chanteuse. Ils choisissent alors Suzanne Wooder, avec qui ils ont déjà travaillé par le passé. Un batteur, Matt Martin, est également intégré au groupe, préfigurant un virage pop/rock.
Mais leur nouveau label, Independiente, leur impose des producteurs, qu'ils acceptent. "C'est toujours séduisant lorsque l'on vous explique que votre morceau est un 'hit', et encore plus tentant lorsque l'on vous promet 22% des recettes de ce 'hit'", s'explique Darius. "le label a dépensé 500 000 livres pour cet album. Le seul problème c'est que ça a finit par donner un entassement de morceaux merdiques et sans âme". Un jugement dur, auquel Danny se joint: "les maquettes étaient géniales, à part peut être deux morceaux que je n'ai jamais vraiment aimé. Mais les producteurs ont complètement vidé le disque de toute sa substance, enlevant toute émotion". Et si Take My Head sort bien en 1999, c'est une défaite pour le groupe.
Alors que de nombreux musiciens se seraient découragé, les deux compères décident de prendre un nouveau départ, et se mettent à la recherche d'un nouveau chanteur (officiellement, Suzanne Wooder aurait repris ses études). Craig Walker, qui deviendra la nouvelle voix du combo, raconte: "Je ne sais pas si c'était lié au sandwich que j'avais mangé ce jour là, ou à la déprimante lecture du NME, mais lorsque j'ai vu cette petite annonce pour un chanteur qui citait des influences qui me correspondaient totalement, j'ai décidé d'y répondre".
Le courant passe tout de suite entre le groupe et ce chanteur pop irlandais, ancien du combo irlandais Power Of Dreams. L'enregistrement de leur troisième long format, You All Look The Same To Me, se déroule pour le mieux. "Cet album sonne vrai, il est brut et émotionnel, et surtout personne n'y a mis ses sales pattes. La voix de Craig est merveilleuse, et il aime vraiment ce qu'il fait".
You All Look The Same To Me sors en 2002. Entre trip hop, électro, rock et pop leur musique est sombre, mélodique, hypnotisante, grandiose … Les critiques sont unanimes, ce troisième album a beaucoup du chef-d’œuvre. En 2003, sors la bo de Michel Vaillant qui, même si à mes yeux reste encore très loin de You All Look The Same To Me, conforte Archive dans un statut de formation à part … Souvent comparé à Pink Floyd ou encore Radiohead, le groupe a su construire un univers et un style qui leur sont propres. En avril 2004 paraît Noise, leur dernier effort …
Archive a profité de la fin de l’enregistrement de Noise pour nous offrir un live d’un concert accoustique en privé. Et il en ressort Unplugged. La galette vaut le coup d’œil, voire un peu plus. En effet, peut-être même séduira-t-il les sceptiques ou les déçus de Noise, comme ce fut mon cas.
L’ambiance est confinée, Archive reçoit en petit comité avec Craig Walker au chant et à la guitare ainsi que Steve Harris (guitare) et Darius Keeler au piano. On retrouve avec plaisir des nouvelles versions de Fuck U, Noise ou Sleep, très épurées : la voix de Craig Walker frise à chaque instant avec le faux et le naisilliard (avec pour point paroxismique ses envolées sur Me and You ; à croire que le mixeur avait des bouchons dans les oreilles ce jour-là) ; mais la mélodie des titres prend du relief dans la simplicité. Là où Archive était passé à côté de superbes titres dans Noise, Unplugged leur redonne tout un potentiel. Le piano sur Conscience est d’une tristesse qui n’a d’égal que sa beauté et par desssus lequel le chant trouve sa juste position. Les petits plus d’Unplugged sont d’une part, la montée sur scène de Bruno Green (Santa Cruz) pour l’interprétation de Game of Pool qui s’intègre parfaitement à l’ensemble de la galette dans son esprit stoner rock ; et d’autre part, Archive qui reprend Girlfriend in a Coma de Johnny Marr (The Smiths) et de Steven Morrissey.
La recette magique d’Unplugged réside sans doute dans son esprit « familial » et dans la courte durée des interprétations. On sentirait presque l’odeur du feu de bois et des saucisses nous chatouiller les narines tout en faisant revivre différemment le fantastique Goodbye. Bref, on pardonne à ce cher Craig de ne pas être une fine fleur du chant tant l’accoustique sied aux titres d’Archive (idéal pour emballer cet été !).
Exit les noirceurs de la « dépression » post Craig Walker (l’ancien chanteur), exit aussi les frustrations du mythique quatrième manifeste « Noise » et la colère froide du tubesque « Fuck U »… c’est un Archive aujourd’hui apaisé, enjoué, réinventé et repensé comme un collectif à géométrie éternellement variable, qui revient percuter les bacs et caresser les planches européennes…
« Quand Craig a quitté le groupe, ça a été très difficile à gérer… On a même pensé tout arrêter mais Darius et moi faisions de la musique depuis trop longtemps pour tout abandonner comme ça… Nous avons donc considéré cet album comme le moyen de sauver Archive. De continuer l’aventure à la façon d’une formation ouverte et évolutive, comme c’était le cas à nos débuts… Et la rencontre avec Pollard est arrivée comme une bénédiction ! »
Croisé à Vienne lors d’un concert des londoniens, Pollard Berrier, jeune chanteur américain installé en Autriche et membre du très novateur Bauchklang (littéralement « son du ventre » en allemand), groupe autrichien d’instrumentistes vocaux, devient rapidement l’électron libre qu’il manquait à l’entité Archive… Le timbre sensuel et cristallin le plus à même d’incarner cette nouvelle ère. Cet optimisme retrouvé. Cette pureté recouvrée…
« Lights », album de la maturité ?
« C’est vrai qu’à l’inverse de « Noise », dans lequel nous étions tournés sur nos propres frustrations, ce nouvel album symbolise notre ouverture sur le monde qui nous entoure… « Lights » parle de la façon dont les gens se comportent et dont ils évoluent… C’est un peu un regard qui n’est pas cynique sur le cynisme ambiant… Le monde occidental est de plus en fou et du coup, c’est une époque intéressante pour faire de la musique… Il y a tellement d’égoïsme, de consumérisme outrancier et de conflits, religieux, politiques et culturels, que ça en devient très dérangeant… La seule façon d’échapper à tout ça de façon positive, c’est la musique !! »
Enregistré au Southside studio de Clapham, leur QG de Londres, mixé à Paris, leur cité d’adoption, par Jérôme Devoise, « un génie du mix qui cerne parfaitement notre univers», Lights cristallise toutes les humeurs d’Archive.
Entre jungle, trip-hop et pop, divagations psychédéliques et plages cinématographiques, errances baroques et urgences rock (le single « System »), inerties mélancoliques et sursauts épiques, expérimentations progressives (l’incontournable titre « Lights », « emprunté » par Meetic pour sa campagne publicitaire) et ondulations lascives, le tandem godille avec dextérité. Brouille les pistes avec agilité.
« On pourrait presque dire que Lights est un album pop avec ses morceaux de 3 minutes et demi ! Mais ça ne résume pas l’album dans son intégralité puisque l’on alterne des titres « rock’n’roll » façon Archive avec des compositions de 19 minutes, en passant par des interludes très atmosphériques à la John Carpenter ou à la Scarface… » Le cinéma, encore et toujours, source d’inspiration intarissable.
Véritable bande-son d’une époque, la leur, la nôtre, la vôtre, un album aérien, enfin serein, qui magnifie les montagnes russes de nos âpres quotidiens.
« Lights » et que la lumière illumine les tourments de nos éphémères existences !
Source : NewForms
Biographie fournie par : Webmaster ABC-TABS
Dernière modification : 20/09/2011